Portrait - ma nouvelle amie Lena

Texte de Suzanne Dansereau, journaliste et conseillère indépendante

Responsable d’une série de portraits consacrée à la parole des aîné·es.

Je me suis fait une nouvelle amie. Elle s’appelle Lena. Elle a 88 ans. On s’est rencontrées en faisant du jogging. Elle montait les marches de l’escalier qui mène au sommet ouest du Mont-Royal, moi je les descendais. On s’est souri, on s’est dit bonjour. Du haut de ses cinq pieds, elle m’a lancé : ce qui monte doit redescendre !

Lena court 5 jours par semaine, beau temps mauvais temps, hiver comme été, à son rythme. Chaque année, elle fait le marathon de Montréal. Elle aime ça, être dehors et bouger, respirer l’air, contempler le ciel et les arbres.

Quand ses deux fils étaient jeunes, ils partaient tous les trois faire du camping en vélo près de Sutton. Divorcée dans les années 70, elle n’avait pas les moyens de posséder une auto. Elle est donc habituée de marcher partout où elle va. Quand je lui demande comment elle se rend à l’épicerie, elle répond : je prends l’autobus numéro 11.

-Mais il y n’a pas de bus numéro 11 ici !

Elle pointe ses deux jambes. C’est ça, pour elle, le bus numéro 11. Ses jambes. Chaque fois que je vois Lena, je découvre sa force de caractère. D’abord quand on lui demande comment elle va, elle répond immanquablement : Mieux que jamais !

La première fois qu’on est allées prendre un café ensemble, elle m’a raconté son histoire. Elle vient de Pologne. Elle est née en 1937. Elle est juive. En 1942, ses parents ont perdu leur entreprise parce qu’ils étaient juifs. Puis sont venus les étoiles jaunes, les camps de concentration… À cinq ans, elle a été placée dans une ferme avec des Polonais catholiques. Blonde aux yeux bleus, et très bonne pour traire les vaches, les fermiers l’ont gardée et l’ont protégée. Mais elle n’a jamais revu le reste de sa famille : ses parents et ses deux frères ont été exterminés.

Ses bonnes notes à l’école lui ont permis d’avoir une bourse pour aller étudier en Union soviétique (où la propagande disait que le capitalisme menait les peuples à mourir de faim), puis à Londres, où elle s’est mariée avant de déménager au Canada et faire sa vie comme professeur de physique.

Aujourd’hui, la santé, le logement, ses fils : tout est un cadeau du ciel aux yeux de Lena. Une simple tablette de chocolat la rend heureuse. Son Iphone la suit partout et elle s’en sert pour prendre des photos et écrire des textos.

Lena prend soin de sa santé. Elle évite la viande rouge, prend de l’omega 3 pour sa santé cognitive et elle mange beaucoup de yogourt (pour le calcium).

Lena aime aussi la musique. Elle chante dans une chorale. Récemment, nous sommes allées ensemble à un concert de musique classique à l’université. Elle est arrivée avant le concert avec un énorme panier de friandises, qu’elle a distribuées aux spectateurs. Le concert est gratuit, mais avant d’entrer dans la salle, le public est invité à faire une contribution financière. Les organisateurs m’ont dit que depuis que Lena distribue ses friandises, le montant des dons a doublé !

Quelle petite bonne femme ! J’espère que nous resterons amies longtemps, longtemps.